texte Adélaïde

AUSTRALIE
« M.Culbuto » au WOMADelaide – the world’s festival –
06 au 09 mars 2015

Elle a perdu son père,
j’ai perdu ma valise.
J’ai retrouvé ma valise,
elle a retrouvé … que dalle. Niquée la symétrie.
C’est la vie qui s’achève et moi qui pars à l’autre bout du monde avec une délicieuse envie de rien qui me colle aux poumons.
Je dis les poumons pour ne pas dire le cœur.
Ce sont des viscères moins prétentieux.
Ceci étant …

DEPART, un lundi.
Marignane, Aéroport international, mais ça respire Marseille de partout. Les hôtesses d’accueil, derrière leur comptoir cossu et malgré l’officialité de leur uniforme, ressemblent plus à des caissières de Monoprix jamais avares d’une remarque pagnolesque et qu’on dirait toujours prêtes à te claquer une bise en disant « té, mon droulet, tu passeras le bonjour aux kangourous ! ».
Après, on se farcit du poireautage en zigzag, parqués derrière des sangles amovibles que t’as envie de découper au cutter. Contrôle des passeports. Attente, marcher à pas lents. Toujours l’odeur de Marseille, destination Maghreb pour la majorité, Agadir & tutti quanti. Certains se coltinent des sacs de misère en plastique pétassés à l’adhésif qu’ils poussent du bout du pied à chaque avancée microscopique. Ça parle fort, ça s’invective et parfois ça s’énerve quand y en a qui doublent. T’as l’impression que tout le monde se connaît. C’est le bordel, même la porte d’embarquement est mal numérotée. Mais c’est normal qu’on nous dit, c’est Marseille …

AUSTRALIE, c’est loin.
Trente-six heures de voyage en cumulant les temps de vol et la glandouille dans les aéroports. Trente-six heures aller & idem retour pour un petite semaine sur place, c’est pas bien proportionné. C’est mon métier et je suis payé pour faire ce genre de connerie. J’ai signé, je ne me plains pas. Juste je constate, je commente. Nîmes-Marseille-London-Singapore-Sydney-Adélaïde, NMLSSA que l’on peut traduire par Hé nem ailé, c’est ça ? ou Haine aimée, laissez ça ! C’est assez nul comme supputation, mais j’ai le droit de m’amuser un peu, non ? Et je trouve que ça sonne plutôt bien, que ça a de la gueule. C’est la promesse d’un beau voyage. Non ? bof …
ACCIDENT, improbable.
Je prends deux journaux english gratuits parce qu’on voyage avec British Airways et vais m’asseoir à ma place, au fond. Statistiquement, en cas de crash, c’est dans la queue de l’avion que se trouvent les rescapés. Et en plus, y a une bonne sœur en tenue assise à deux rangs de nous. On ne risque vraiment rien. On peut s’écraser les doigts dans le nez, on survivra. Sauf si un putain de co-pilote paranoïaque oublie de prendre ses médicaments …

CHIFFRES, précis.
2h00 + 12h40 + 7h55 + 2h15 = 24h50 de vol
5h50 + 1h30 + 2h05 = 9h25 d’attente
Total = 34h15, plus le fourgon Nîmes-Marseille, plus l’enregistrement …
L’altitude de croisière est d’environ 10000 m, les réacteurs nous propulsent à 900 km/h. A l’atterrissage, on se pose à 262 km/h, ce qui correspond à 162 mph (facile à retenir pour faire la conversion). Et si vous souhaitez d’autres chiffres … vous pouvez faire du sudoku, c’est un passe-temps totalement stérile, mais assez efficace.

CINEMATOGRAPHE, aéronautique.
Sur le siège de devant, habilement incrusté, un petit écran avec casque audio et zapette filaire. Ils proposent gratos un choix de films dont une vingtaine en français. J’en ai maté huit : « Gone Girl », « Elle l’adore », « Nightcrawler », « Wild », « Whiplash », « Pride », « Fury », « Quand vient la nuit ». Tous se laissent voir avec aisance (c’est le but de la manœuvre). Films récents, lisses et agréables, ça va du médiocre au passable et si on est optimiste et enjoué, on peut dire que certains ne sont pas trop mal.
C’est l’occase pour moi de voir un peu de l’actualité normale du cinéma, essentiellement américain. Les films « grand public et de qualité » qui sont projetés dans les multiplexes où je ne vais jamais. Les films du dimanche soir de TF1. Sans doute pas ce qui se fait de pire, loin de là, et c’est bien ça qui est inquiétant. Du classicisme exacerbé, des bons sentiments, de la musique sirupeuse et redondante. Du sans surprise, pas la miette d’une, de la merde tiède. Voilà pourquoi j’adore Quentin Dupieux.
J’ai gardé l’heure française sur mon téléphone.
Il est exactement 15h00 ce mardi 03 mars.
Quelque part en Bretagne centrale, à Silfiac, près de Guémené, on enterre un monsieur de 78 ans.
Si on croit au dieu du ciel, il s’envole au paradis.
Moi qui navigue dans les airs internationaux,
dans mon aéroplane triste,
peut-être qu’en regardant attentivement par le hublot
je vais voir passer son âme.
J’imagine qu’ainsi on se croise une dernière fois.

GASTRONOMIE, aéronautique encore.
Régulièrement, ils nous servent à bouffer. Le menu s’échine débilement à faire couleur locale : breakfast anglais après Londres, simili asiatique à Singapore. Idem le cinoche, ils s’acharnent dans la médiocrité fade mais acceptable. Et puis, on ne va pas râler, c’est gratuit. Enfin, personnellement je n’ai rien payé. J’ai pris du vin rouge en bouteille plastique ridicule de 18,7 cl, de l’espagnol buvable qui s’avère bien soporifique et qui endort très efficacement. Je soupçonne le commandant de bord d’y tremper sa bite clafie de bromure. Ouais, la longueur et l’ennui du voyage laisse divaguer mon cerveau jusqu’à la connerie grivoise.
Y a d’autres divagations, je m’interroge sur le parcours singulier du poulet de mon assiette. Élevé à la chaîne dans une usine française, zigouillé dans un abattoir polonais et cuisiné à la va-vite par la Sodexo bulgare, il sera mangé dans les airs, dix kilomètres au-dessus de l’ex-Yougoslavie par un crétin à moustache. Je suis sûr qu’il n’avait jamais espéré voler aussi haut, aussi loin. Quel destin magnifique ! Je pense à la carotte, à la patate aussi, mais c’est moins glamour.

AMUSEMENT, aéronautique toujours.
La zapette mentionnée ci-dessus est terriblement complexe. Recto-verso avec des dizaines de boutons, elle permet en sus de son activité télévisuelle normale d’accéder à quelques jeux classiques & divertissants. Je bloque sur PacMan et je m’y engrène nerveusement jusqu’à choper une ampoule au pouce gauche. Faut vraiment être con ! En plus je plafonne à 12600 points ce qui je pense, aux yeux des spécialistes, est assez lamentable. Tuer le temps, c’est logiquement morbide.

ARRIVEE, ensuqué.
Terri vient nous accueillir avec le sourire et un taxi. Trop fatigué pour parler anglais, je laisse faire. Tout va bien, on roule dans une atmosphère printanière. Tête à la fenêtre de la bagnole, je respire l’Australie. Il est localement 11h du matin, mais j’ai du mal à m’en rendre compte.
On nous pose à l’hôtel et Lionel, un français retraité expatrié ici depuis 4 ans (sa femme est du coin, avant ils ont vécu 12 ans à Toulouse), nous refile le paquet cadeau : programme du festival, casquette, tickets repas, tickets boissons et de la thune pour les extras, soit 60 $ par jour et par personne.
Nous prenons la monnaie et partons bouffer une saloperie quelconque dans un boui- boui grec situé juste à côté. Sieste.

ADELAIDE, trois propositions :
a – Un joli prénom féminin d’une désuétude croquignolesque avec des relents de mémé espiègle. Je n’en connais aucune, mais je veux bien être présenté si vous avez ça au fond de vos tiroirs ancestraux.
b – Une chanson débile des années ’80 chantée par Arnold Turboust. Cézigue est un grand couillon frisé, ersatz d’Etienne Daho (c’est dire le niveau), affublé d’un patronyme aussi ridicule que les niaiseries acidulées qu’il susurre mollement sur des rythmiques électroniques de pacotille. Pour l’occase, il était accompagné par Zabou, la comédienne et réalisatrice qui ferait mieux de se cantonner au cinéma et qui – hélas, trois fois hélas – comme la plupart des Isabelle, ne peut s’empêcher de revendiquer le diminutif : Zabou, Zab, Zazie, Zaz, Isa … pourquoi pas Zaza, voire Zizi ? Et Arnold, l’appelait-elle Nono ?
c – Une ville d’Australie d’un million d’habitants, cinquième par la taille après Sydney, Melbourne, Perth et je sais plus, située au sud de cet état-continent.
… Réponse c, bravo !

HILTON, hall.
À l’entrée de l’hôtel officie un drôle de zigue. Grand, mince, décontracté, une sorte de Nino à chapeau de cow-boy et gilet sans manche. Avec son sifflet d’arbitre et une obséquiosité raisonnable, il règle les arrivages de taxis et simili limousines. Légèrement voûté, c’est le concierge de la ruche.

HILTON, luxe.
Je ne sais pas le prix des chambres, mais ce n’est pas de la merde. Du confort agréable, y a pas à dire, mais tout ce bordel est sacrément futile. Ça donne envie de cracher dans la soupe, car justement, soupe il y a. Profitons de la profusion actuelle, éphémère peut-être, pour rigoler et dézinguer. On vient faire les singes savants en Australie, on vient amuser et faire rire, mais à quel prix ? Pas dupes, peut-être. Mais pour de la cohérence, y a toujours la possibilité de refuser, d’exiger au départ, et je ne le fais pas. J’accepte la gamelle que l’on me tend et en retour de bâton, je me retrouve face à ma médiocrité. Et ça ne me console pas de voir que beaucoup sont bien pires que moi. De l’entertainment comme disent les amerloques …

PANORAMA, onzième étage.
De la fenêtre de ma chambre, j’observe. Des chapiteaux oblongs et gris pareils à des larves d’insectes géants emplissent le square. C’est la fête là aussi. Concerts & spectacles où traîne la jeunesse au milieu des fanions multicolores et des guirlandes lumineuses. Sagement quelques couillons en famille boivent des bières dans des gobelets en plastique, assis sur des bancs en bois. La voie du tram et de larges artères où coule une circulation obéissante quadrillent le carrefour. Quelques immeubles de tailles moyennes admirablement bien rangés en parallèles & perpendiculaires parfaites et au loin, un petit escarpement boisé. La nature est proche.

VALISE, perdue.
Comme évoqué en préambule, celle-ci a disparu. Tapis roulant qui tourne en boucle à l’aéroport de Sydney et ne vois-tu rien venir … Non. Une femme se pointe avec une liste, une dizaine de noms dont le mien, c’est les égarés. Ça rassure un peu de voir qu’au moins ils sont au courant de la couille. Réclamation au bureau idoine, laisser l’adresse de l’hôtel et ils promettent que j’aurais mon bazar le lendemain. La promesse sera tenue tardivement (arrivée du bagage à 23h), mais tout rentre dans l’ordre. En cette lugubre période de crash intempestif et germanique, je ne vais pas couiner, mais ce type de contretemps peut causer quelques désagréments.
Primo, ne jamais laisser de matériel indispensable dans un sac voyageant en soute : j’aurais eu l’air con à culbuter sans mon bon vieux casque en cuir ! Deuxio, avoir toujours avec soi le minimum nécessaire pour le quotidien de base : un slip, des chaussettes, un t-shirt …
Par un flair hasardeux, j’avais pris en cabine mes lunettes et trois paires de lentilles, une nécessité absolue pour un bigleux comme bibi, et ma kleptomanie habituelle m’a dépanné d’un tube de dentifrice & brosse à dents récupérés dans l’avion. Pour le reste, faut acheter vitement, quand c’est possible, une chemise bariolée homologuée chez Perrin et sinon laver au savon dans le lavabo de l’hôtel son caleçon et ses chaussettes le soir pour le lendemain. On y arrive sans peine.

CHINATOWN, et bazar.
Juste derrière, accolé à notre hôtel, se trouve le marché fruits & légumes, et en suivant, toute une flopée de boutiques bigarrées principalement tenues par des asiatiques, d’où le nom du titre.
On peut y manger pas cher et assez correct dans une grande salle pleine de tables & de bancs encerclée de petites échoppes où tu passes ta commande. Quand c’est prêt, on t’appelle. La fille au comptoir s’époumone comme un chat qui pleure en criant en boucle et éperdument : « number feuti-ouan, number feuti-ouan ! ». Nous, on s’en fout, on a le « number feuti-tou ». Pour ce lendemain en douceur, je me pose dans une brûlerie à café pour un terrible expresso et un cookie maison. Tranquille comme aux halles de Sète, mais ça ne sent pas le poisson & ce n’est pas du vin blanc.
Les étals (au pluriel, on peut aussi dire « étaux », mais après on risque de confondre avec la ferronnerie) regorgent de victuailles bariolées. On y trouve de tout et à tous les prix, sauf le fromage. Impossible de choper un calendos à moins de 15 $. Mais je peux très bien m’en passer. J’ai fais le Koweït, quinze jours sans bière ni alcool, alors une semaine sans fromage …
Les boutiques proposent de la diversité habituelle. Je repère les magasins pour quelques cadeaux et souvenirs de retour. De la peau de kangourou à toutes les sauces.

PARC, animalier.
Aprèm’ du deuxième jour. Visite de groupe avec tous les artistes présents, deux bus. Cleland, 30 minutes de route, hors de la ville, montagne. On voit le diable de Tasmanie, une bestiole amusante ; des petits marsupiaux en forme de rats, mes préférés ; un pélican miteux ; des koalas immobiles comme des stars boudeuses ; un porc-épic, pas beau, museau pointu, que franchement notre hérisson a plus de charme …
Pour la plupart, les kangourous dorment, avachis. D’autres nous regardent, narquois et prétentieux. Têtes de cons. Arbres maigrichons aux troncs obliques, l’espace au sol est comme calciné, ratiboisé. Le parc galope sur quelques hectares, cerné de grillage. Sur le retour, les artistes à l’enthousiasme exacerbé rigolent et parlent fort, la roue de l’autobus frôle le ravin.

FESTIVAL, généralités.
World music dans un parc. Quelques stars plus ou moins à la mode. Et, fait remarquable et appréciable, tout le monde est traité de la même manière. Même accueil, même hôtel, même importance dans le programme où on se trouve sur la même page et au même niveau d’annonce que Buena Vista Social Club, Sinead O’connor et Neneh Cherry. Y a de quoi frimer !
Ian, le boss, a une dégaine d’instituteur souriant & courtois. Grand, mince, chemisette à carreaux, lunette et dégarni du dessus. On le connaissait déjà de Melbourne où il nous avait fait venir en 2000.
Immense espace, proche du centre-ville, jouxtant l’hôpital et l’université, on évite facile la navette à la disposition des artistes, avec une vingtaine de minutes de marche à pied très agréable. Parc avec de l’herbe et des arbres, normal. Mais de beaux arbres
immenses avec la base comme fondue dans le sol qui dessine de drôles de racines apparentes pareilles à des nervures verticales pouvant servir de pissotières (la comparaison finie mal, désolé, mais c’est réaliste). Sept scènes qui jouent en alternance, concerts calibrés à une heure maxi, comme dans tous les festivals … Des boutiques branchouilles bobos d’artisanat international, de la bouffe mondiale, équitable et pré-mâchée, que du bonheur ! Tarifs d’entrée : 100 $ par jour, 300 $ les 4 jours.
Enjoy ! it’s amazing !

CULBUTO, comme d’hab’
Peu d’espaces de jeu appropriés aux 320 kg. Mais ça va. Premier jour pour animer la file d’attente de l’entrée principale et faire l’andouille devant les officiels. De l’efficace inintéressant. Ensuite, on se cantonne sur un périmètre techniquement idéal et stratégiquement judicieux, devant le zoo, près d’une sculpture réaliste d’un gros pouce (150 cm de haut) de chimpanzé.
Affluence et comportement changeant, aléatoires et inexpliqués. Parfois, le public s’arrête avec plaisir et profite tranquillement de la rencontre incongrue, ludique et émotionnelle, pendant quelques belles minutes. Cercle attentif d’une bonne centaine de personnes. Parfois, ça ne fait que passer, pressé, avec juste un sourire amusé. Parfois même, c’est très clairsemé.
Au final, et comme d’hab’, M.Culbuto et son fidèle livreur font le job. Avec plaisir et en s’y régalant. So what ? Seau ouate …

BACKSTAGE, algéco.
D’abord, sur le chemin goudronné en périphérie du parc, juste au bord, y a un container (un beau, un vrai, en ferraille) avec notre matos inside. Deux caisses en bois homologué pour l’Australie, arrivées en bon état ou presque après 40 jours de bateau, des semaines de transfert, groupage, transit, dédouanement et paperasse. On ouvre, on fait le montage et tous les soirs, on rentrera l’attirail à l’intérieur. Ils ont prévu une rampe amovible, ils bossent comme des chefs, on est accueillis comme des papes.
De l’autre côté du périph’ minuscule, il y a quelques constructions modulaires (Algéco comme Frigidaire, Scotch ou Caddie, ce sont des marques dévoyées qui se la pétent en jouant au nom commun, méfiez-vous !). Ils nous en ont mis trois disposées de manière à créer une cour avec, détail qui tue, une barrière en plastique blanc sur le côté. On dirait la petite maison dans la prairie version kitschissime. Par contre, à l’intérieur, c’est calme. De l’eau, un frigo vide, une théière. Le premier jour on a eu trois bonbecs à se partager à quinze. Depuis, nada, peau d’zob. Il y a un jeune ahuri à vilaine barbe et sourire fourbe qui vient toujours nous demander si « all is ok ». Je lui réponds que « ouais ouais, va-t’en ». Un gros arbre et derrière, la tente pour le catering (c’est comme ça qu’on appelle le resto pour les artistes sur les festivals, en fait, c’est juste un traiteur, plus ou moins bon, mais qui se prend pour un américain.) avec les bières à 8 $. On a les tickets juste pour la bouffe, correcte. Plus loin, les chiottes. A gauche, l’arrière de la grande scène. En permanence, le bruit du groupe électrogène, pas le plus petit modèle. C’est du champêtre, bruyant.
BOIRE, peu de modération.
Premier soir du festival dans l’espace resto, quelques tables sont garnies de sucreries et de vin rouge. A côté de moi, Ian sur une petite estrade balance des remerciements dans un micro. Il fait bref, c’est impec. La foule est compacte, mais je sais louvoyer jusqu’au loufiat qui ne renâcle pas au remplissage. Comme par habitude, je carotte une bouteille quasi pleine et fais généreusement le service alentour. Le temps est doux, la vie est courte, je sais presque parler anglais. Encore un verre et je te traduis tout Bukowski ! Je cause de Léo Ferré à une néo-zélandaise gentiment givrée parce que mes chaussures noires à lacets rouges lui évoquent l’anarchie. N’importe quoi … Je suis assis, quasi par terre, un peu à l’écart et je regarde. J’observe avec plaisir, presque avec tendresse, mais sans oublier la rage, faut pas déconner. Et je sens parfois une douce tristesse dans le regard des gens. Ici, tout à l’air facile, simple, tranquille, cool. Voilà, c’est le mot : cool, tout est cool. Et j’emmerde cette sérénité, leur éclatante jeunesse et tous les sourires vains qui vont avec. A-quoi-boniste, c’est pas très malin. C’est du boulot pour y arriver et quand tu y es, tu restes con. Ça fait une jolie chanson, mais … à quoi bon ?

THEATRE DE RUE, mouais.
En plus de nous autres, il y a une compagnie française, Artonik. Ils sont de Marseille, mais pas un n’a l’accent du sud. Ce sont des jeunes ou presque. De la danse de rue. Une dizaine de danseurs, trois musiciens, une grosse sono sur roulettes totalement inesthétique. ça déambule inutilement avec 50 bénévoles « affectés à la gestion du public », ce qui me chagrine au plus haut point. J’ai de la sympathie pour eux, individuellement. Mais leur spectacle « The colour of time » est une grosse merde commerciale, efficace, bien ciblée. Récupération, polissage, mise au format, sourire et applaudissements ! On pourrait dire à l’australienne …
Déjà, ça partait mal, quel besoin de mettre un « k » à la fin de leur nom ? Faudra qu’on m’explique un jour, pourquoi « Kumulus », « Générik Vapeur », « Makadam Kanibal », « KMK », « les Karnavires » … Sans me vanter, je trouve ça très puéril. Konnards !

ABORIGENES, partout et nulle part.
Quotidiennement, dans la rue, t’en vois pas. Ou alors si, avachis par terre, alcoolisés à l’extrême, absents. Au jugé, je dirais qu’il y a en Australie environ 0,5 % d’aborigènes, mais qu’ils représentent 50 % des clodos, exclus ou SDF, je ne sais pas quelle est l’appellation officielle en vigueur de par ici. Par contre leur culture est présente partout, affichée fièrement et revendiquée telles des racines ancestrales. Les boutiques de souvenirs (mais pas que) regorgent de didgeridoo, de boomerang et autres babioles peinturlurées simili à la sauce de cézigues.
Pour l’ouverture du festival, il y avait un groupe sur scène. Pagnes, coloris, musique et discours dans leur langue bizarre, exotisme parfait. Après, ils sont descendus, rhabillés comme à la ville occidentale & moderne. Ils ont croisé culbuto et s’en sont amusé, vraiment et intensément. Assurément, mon meilleur souvenir australien.

RACISME, anecdotique.
Une fois, au catering, j’ai discuté avec Flavia Coelho. Je connaissais deux ou trois trucs entendus à la radio française et j’aimais bien. Après, j’ai vu son show et j’ai dis bof. Un peu trop prétentieuse. N’empêche, lors de son concert, vers le milieu, elle s’éclipse pour laisser chanter son batteur, un rasta grisonnant qui tape fort. Belle voix, chaleureuse, qui prend bien aux tripes. Mais, ce couillon est venu sur le devant de la scène avec son badge autour du cou, comme fièrement arboré. Tu vois que ça et ça fait con. C’est bien dommage. Le problème, c’est que les seuls, ou quasiment, qui gardent leurs badges en présence du public, ben ce sont les noirs. Pourquoi ?
Si quelqu’un a, parmi ses amis (même lointains), une personne de couleur (même palichonne, un métis fera l’affaire), et que cet ami (connaissance) a une pratique régulière du show bizness ou assimilé, merci de lui poser la question. Pourquoi gardent- ils leur badge ? Putain, pourquoi ?
Ma seule esquisse de réponse serait, qu’étant sans cesse contrôlés, ils ont peur d’être intempestivement délogés de l’estrade par le service de sécurité et que ça ferait con au milieu d’un solo de sax ?
Mais alors, les arabes feraient de même car eux aussi sont de bons clients pour le contrôle au faciès. Ben, non, selon mes statistiques, ils ne sont absolument pas badgeophiles. Je suis perplexe …

TRAINER, dans les rues du centre.
Une ville comme partout ici en Europe. Aucun dépaysement. Les mêmes enseignes. Que des boulevards, pas de ruelles. D’abord Rundle Mall, puis vers Frome Street. On croise quelques triporteurs modernes, à assistance électrique. Ils clignotent et diffusent une musique mielleuse & forte. Les jeunes conducteurs pédalent ardemment et filent sur leur bolide au milieu des voitures. Une sculpture inoxydable & imposante, deux sphères posées en équilibre l’une sur l’autre, plus de deux mètres de diamètre. Un géant pétanqueur qui laisse traîner ses boules … Des blondes en minishort, surfeuses peut- être ou pire, copines de surfeur. Des musiciens de rue (c’est la saison), vieux rockers, vieux bluesman, jeune con. Un peintre à la bombe, une statue vivante endormie. La rue est tranquille, jeune & cosmopolite. Et au final de notre ballade traîne savate, on atterrit à l’Austral Bar et on commande deux bières & deux kangourous burger. Pas terrible, mais, fallait bien ça pour le premier jour. Deuxième jour (j’enchaîne, après, c’en est fini des restos), une pizzeria bruyante avec une bière obligatoire. À la table à côté, six filles piaillent. La trentaine célibataire, solitaire et désespérée, elles rient très fort pour masquer le vide. Elles finiront avant nous et lorsqu’elles désertent, le calme en devient presque assourdissant. Les pizzas sont chères et pas bonnes. Fin de la chronique culinaire.
Un quartier à éviter, signalé comme tel noir sur blanc dans la notice du festivalier et mise en garde plus relative par Lionel. Evidemment, on va y voir pour se rendre compte. Et c’est rien que du sexuel à touriste, à gogo. Idem la rue St-Denis (Paris) ou de Berne (Genève) avec des enseignes rococo qui clignotent chichement où l’on peut lire « escort girl », « crazy horse », « sex-shop », « club lounge adult + 18 » … Pas l’ombre d’un cran d’arrêt, même pas une bagarre, rien. Je suis déçu.

GENS, que je croise.
Vieille femme à gros cul habillée bleu pétrole, asiatique lippu aux pieds extraordinairement petits, handicapé motorisé dans un coûteux bolide caréné, couple âgé poussant des chariots similaires, mère et fille vêtues du même jogging rose se dandinant parallèlement comme des pingouins, grand couillon à casquette et lunette épaisse en plastique ridicule à l’allure sympathique suivi de sa compagne, douce comme une trentaine flétrie, drôle de fleur légèrement fanée à l’aube de la vieillesse, clodo pacifique avec une petite radio qui pendouille nasillarde au bout d’une dragonne, collégiennes & collégiens en uniforme impeccable, petit vieux à nœud papillon qui trottine comme dans un footing imaginé, rappeur avec sono qui s’active devant le poste de police, pas téméraire, à l’approche d’un duo de fliquettes, il cesse son chant … et une équipe de télé qui passe et repasse en recherche de sensationnel.

COCHONS, emblématiques.
Dans la zone piétonne, quatre cochons en bronze. Des sculptures rigolotes avec les enfants qui s’amusent à chevaucher. Riri, Fifi, Loulou & … Non, ça c’est les neveux de Donald, ou Picsou, je sais plus et c’est pas des cochons. Là, ils sont bien quatre. Un qui galope fixement, un curieux debout renifle dans un bac à fleurs, un autre inspecte le sol et le dernier, groin au vent, hume l’air du temps. Pareils à la statue de Victor Noir au Père Lachaise, ils sont par endroit patinés par l’usure. Mais, en apparence, aucune lubricité.
Et, à en croire les dépliants touristiques, ces quatre compères sont à Adélaïde ce que le crocodile est à Nîmes, une fierté monumentale. Ne me demandez pas pourquoi.

HISTOIRE, et géographie.
L’Australie a été découverte en 1770. Avant, il y avait juste les aborigènes depuis environ 50000 ans, mais ça ne compte pas. La colonisation a débutée en 1788 et l’indépendance proclamée le 01 janvier 1901 ce qui est très sympathique comme date pour s’en souvenir scolairement.
Le pays est tellement grand que c’est aussi un continent, ou presque. Il fait environ 7,7 millions de km2, soit 14 fois plus que la France. Et il y a 23 millions d’habitants, ce qui fait 3 fois moins que chez nous. L’essentiel de la population (95%) est à moins de 5 km de la côte. La capitale est la ridicule et médiocre ville de Camberra, mais on ne sait pas pourquoi. Est-ce qu’on a choisit Mulhouse, nous ?
Après la Norvège, l’Australie est classée comme étant le 2ème pays le plus développé. D’après le PNUD … mais c’est quand même pas mal.
Qantas, la compagnie aérienne, est la plus ancienne au monde encore en activité. « The story of the Kelly gang » – 1906, est considéré comme étant le premier long métrage cinématographique. Il raconte la vie et l’œuvre de Ned Kelly, un bushranger, sorte de Robin des bois australien.
Sydney a organisé les jeux olympiques de l’an 2000. Or, il se trouve, et depuis bien longtemps avant, que le code postal de la ville est aussi le nombre 2000 (à Nîmes, on va attendre encore un peu avant la médaille d’or).
En 1956 déjà, les olympiades s’étaient déroulées à Melbourne où Alain Mimoun avait gagné le marathon sous une chaleur accablante et pour sa première participation sur cette distance (42,195 km), reléguant son ami et adversaire légendaire, le tchéque Emil Zatopek (comme le chien) à la sixième place. Je profite de la digression pour signaler que le Mimoun suscité avait comme rival français M.Pujazon (Raphaël) et que celui-ci, en plus d’avoir un stade à Alès à son nom (sur la route de la Grand’Combe) et d’avoir par trois fois gagné les championnats d’Europe de cross-country (sinon, aux jeux olympiques de Londres en 1948, il a eu une intoxication alimentaire) a été mon prof de sport au lycée, de la sixième à la troisième. Oui monsieur, oui madame. Je m’éloigne de l’Australie, je fais ce que je veux.
Pour un euro, vous avez un dollar australien et quarante cents. Faut voir avec la banque le montant de la commission et des frais annexes. Je n’ai pas de conseil à vous donner.

ULTIME, fête.
Dernier soir, le festival vient de finir. On a démonté le matos, bien rangé et fermé le couvercle des caisses. Prêtes à voguer, back to Nîmes. Nous aussi, départ Hilton demain matin 7h00, avion à 9h30 … etc.
Avant, ils invitent à une soirée dans le bar de l’hôtel d’à-côté. Les horaires sont bien calés : ce sera la fête de minuit à quatre heures du matin. Dans l’enveloppe initiale, fournie par Lionel, y avait trois tickets chacun. Grégoire se couchant tôt, par habitude et pour être en forme dans l’avion, il me refile les siens. Avec six, je vais pouvoir m’arsouiller tranquille.
J’y vais poliment à l’heure et y a déjà un peu de monde. Je choisis mon arme, ce sera la bière, blonde à la pression. J’attaque solo, mais les gens sont gentils et viennent me causer. Un peu en français, un peu en anglais lent. Avec le vacarme et l’alcool, c’est difficile de faire risette bien longtemps. Juste quelques mots qui rassurent sur l’impact et la qualité (?) de notre prestation, qu’ils soient grandement remerciés. Ce n’est pas pour faire le malin, mais des fois j’en doute grandement.
Après trois bières, je vois bien que je ne suis pas raccord, que je n’ai pas le courage de tuer la nuit jusqu’au lendemain pourtant si proche. Je calte à deux heures du mat’ avec encore en poche trois tickets pour trois bonnes bières bien fraîches. A la sortie, y a même pas deux ados timides prêts à négocier le rab’. Ils n’interviendront que dans le prochain paragraphe, patience.

VRAC, fonds de tiroir.
J’aurais pu vous dire aussi que …
Que j’ai beaucoup aimé cette pluie hésitante de l’avant-dernier jour, des gouttes pareilles à des larmes essorées au diamètre minimum comme sorties d’un arrosoir enfantin … Qu’à la télé australienne t’as aussi « des chiffres & des lettres » mais dans une version encore plus désuète que chez nous et que le « y » est considéré comme une consonne … Que la bière usuelle est la « Coopers Brewery Original Pale Ale », bouteille de 375 ml, vendue pour la modique somme de 8 $, soit environ 6 € … Qu’un soir, en quittant le parc pas trop tard, juste après la sortie deux ados timides (les voilà !)
m’interpellent, je comprends qu’ils veulent récupérer mon ticket pour rentrer gratos voir les derniers concerts, je n’ai pas de ticket mais un bracelet « artiste » que je leur donne volontiers, ils ont pris ça avec des étoiles dans la gueule comme un billet de 1000 et un flot de « thank you » … Que les barrières Vauban sont toutes maigrichonnes, que rien qu’à les regarder tu risques de les tordre … Qu’à-côté de là où on joue se trouve l’arbre à chauve-souris, par centaines, par milliers, pendues à l’envers, elle piaillent hystériquement dès le début des concerts et qu’elles s’envolent à la nuit vers un ailleurs sinistre pour ne revenir qu’au petit matin, gorgées de sang frais et se raccrocher de même et nous narguer itou sur cet arbre, le seul et unique de toute la ville … Que la pêche aux lots de tombola a été maigre, un pauvre gilet fluo extorqué à l’usure verbale, trois stylos cheap mais siglés « Hilton » et une paire de chaises pliantes qu’on rate de peu … Que les voitures roulent à gauche, que les boîtes de vitesses sont automatiques, que les camions sont immenses à double semi-remorques avec des cabines obèses et du chrome clinquant et des clignotants qui rutilent, que …

BILAN, comptable.
A la louche, notre venue a coûté environ 10000 €. Le cachet artistique, le fret, les billets d’avion, l’hôtel, resto et per diem. Sachant que l’on jouait 3 fois 30 minutes par jour et ce pendant 4 jours, qu’à chaque set on faisait une moyenne de trois « performances interactives » qui touchaient environ deux-cent personnes que je divise en 2 groupes : 25%, soit cinquante qui s’arrêtent, assistent & participent au bazar pendant cinq bonnes minutes et les 75% restantes, soit cent-cinquante qui ne font que passer brièvement avec éventuellement un petit sourire, un petit souvenir amusé.
Ce qui nous fait un total de 7200 clients et parmi ceux-ci 1800 privilégiés. Après un calcul rapide toujours à la louche, bien lourdingue, j’annonce le tarif : 1,85 € le petit sourire (le tout venant) et 5,56 € pour ceux qui repartent avec la petite émotion en bandoulière. La question finale étant : est-ce bien raisonnable ?
Souvent en repartant d’ici ou là, après le show ou appelle-ça comme tu voudras, la fatigue en sourdine et la sueur du démontage encore cristallisée sur le visage, regardant les vaches qui défilent à la vitre latérale du camion, je me pose ce genre de question, encore & toujours, à-quoi-bon … ad libitum.

RETOUR, idem.
Avion comme précédemment, cinéma, sudoku & PacMan, plateau repas, vin rouge, attente. Que de l’ennui majuscule, quasi routinier. Pas de valise perdue, plus de luxe hôtelier, partis les kangourous. Et puis Marseille …
Rien n’a changé tout est pareil. Terriblement pareil. Une belle tristesse, tellement agréable. Comme un morceau de blues, mais pas Chicago, plus tranquille, Mississipi, John Lee Hooker du début et pas trop fort, voilà, ça ira. L’avion atterrit, et basta !

NIMES, chez moi.
Dimanche matin, bar des Halles, quelques jours après être revenu en France. Un type, vague & pauvre sosie de Pépé Linarès, déblatère joyeusement, le désespoir exacerbé. « J’en ai marre d’être con » répète-t-il sans cesse. Et puis, avant de partir, il assène sérieusement & définitivement un « je sais dire non à l’alcool » et de nous saluer. Je suis bien redescendu sur terre, dans mon quotidien lugubre et rassurant. Dominical …